
Avec I Jantô !, Soussaba Cissé signe une œuvre profondément humaine et engagée, qui s’inscrit dans la lignée des grands films de témoignage et de mémoire. Héritière d’un cinéma panafricain de conscience, dont son père Souleymane Cissé fut l’un des piliers, la réalisatrice s’attaque à un sujet brûlant : la crise malienne qui secoue le pays depuis 2012.
Dès les premières images, le spectateur est plongé dans un univers de tension et de souffrance, mais aussi d’extraordinaire résilience. À travers une série de témoignages bruts, sans fard, I Jantô ! donne la parole à ceux qu’on n’entend jamais : victimes de massacres, déplacés internes, mères endeuillées, jeunes désabusés, leaders communautaires… Chaque visage porte une histoire, chaque voix est une vérité.
Le film dépasse les clichés simplistes des conflits ethniques pour proposer une lecture complexe des violences. Loin de se contenter d’un constat, Soussaba Cissé interroge : que cache cette spirale de haine ? Qui en tire profit ? Et surtout, comment en sortir ? Cette posture analytique, nuancée, fait toute la richesse du documentaire, qui conjugue l’émotion brute à une réflexion politique, sociale et historique.


Formellement, I Jantô ! se distingue par une mise en scène sobre, presque pudique, qui laisse toute la place aux récits. La caméra, discrète mais présente, capte les silences autant que les mots. La bande-son, souvent minimale, accompagne l’image comme une respiration, sans jamais surcharger le propos. Ce choix esthétique renforce l’authenticité du film, en faisant du spectateur un témoin actif.
Mais I Jantô ! est plus qu’un film. C’est un appel. Une alerte. Un cri lancé au Mali et au monde. Le choix du titre – « Prends garde » – dit tout de l’intention de la réalisatrice : éveiller les consciences, prévenir le pire, et inviter à un sursaut collectif. Ce documentaire, profondément ancré dans le réel, résonne comme une œuvre nécessaire dans un pays à la croisée des chemins.
En rendant hommage à son père, Soussaba Cissé affirme son propre langage cinématographique : une voix de femme, une voix de paix, une voix d’avenir. Avec I Jantô !, elle s’impose comme une figure montante du cinéma africain contemporain, fidèle à l’héritage tout en étant résolument tournée vers les défis du présent.
Malick SANGARÉ
Journal du Cinéma et de la Télévision
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